✼ « Tu ressembles à ta mère. » C’étaient les mots de son père. Des mots qu’il prononçait parfois, sans qu’elle ne s’y attende, qu’elle ne sache réellement pourquoi. Reproche ou compliment ? A chaque fois, Ginevra se contentait de baisser la tête, attendant une suite qui n’arrivait jamais. Sa mère était l’ombre de sa vie, fantôme muet dont la mémoire croupissait quelque part, parmi les souvenirs honteux du clan Hennessey. Jamais on ne parlait d’elle, jamais on ne prononçait son nom, à jamais, elle était silence. Les quelques brides de son histoire, celles qui fort rarement remontaient aux oreilles de l’enfant d’Achbald Hennessey, racontaient comment quelques heures après avoir donné naissance, la jeune-fille s’était donnée la mort. En se jetant du haut du puits sans-fond, la feu « Lady Hennessey » s’était condamnée à l’opprobre de son clan, effectuant un acte que tous, avaient qualifié de lâche et d’immoral.
Son deuil n’avait point duré. Quelques mois après ce sordide fait divers, le clan avait célébré une nouvelle union, plus puissante, plus prestigieuse. En grande pompe, le -plus si veuf- Achbald épousait Astrid Hollowheart, héritière du trône d’Heimsring. Ils étaient jeunes, ils étaient beaux, et leur futur semblait prometteur. Moins de sept mois après le drame qui avait suivi sa venue au monde, Ginevra avait une nouvelle famille.


✼ « Et que voudrais-tu que je fasses d’un époux, hein ? » Lâcha-t-elle, se tournant vers son demi-frère. Sur son visage, s’affichait l’éternel sourire qui jamais ne la quittait. Son regard pourtant, témoignait d’une colère qu’elle s’évertuait à cacher. Son ton avait été abrupte, agressif, et c’était avec une rare violence, un mépris mal dissimulé qu’elle avait craché ces mots. Partout ailleurs sur Baratie, il aurait été inconcevable qu’un simple sujet s’adresse ainsi à son prince. Mais pour Ginny, Merlyn était plus que l’héritier du trône : Il était sa famille, son ami, son confident.
Nés du même père, élevés ensemble, ils avaient été unis par bien plus que les liens du sang. Inséparables dès leur plus jeune-âge, ils avaient reçu la même éducation, côtoyés les mêmes mestres et un jour, aspiré à la même liberté. Tout comme Merlyn, Ginevra maniait l’épée. Observatrice, intelligente et travailleuse, elle s’y connaissait en politique étrangère et sa culture, servait à autre chose qu’à la conversation. De ses précepteurs, elle avait appris comment régenter une maison, et d’Astrid, reine d’Heimsring, unique figure maternelle de sa vie, elle avait appris tout le reste. Qu’aurait-elle donc fait d’un époux ? Rien dans la mesure où, la question ne se posait pas. Personne ne voulait de l’enfant d’un bagnard, toute « Lady Hennessey » fût-elle. Surtout si c’était « Lady Hennesey », fille du lâche qui avait osé lever la main sur une femme, chose encore plus honteuse que cette femme était la souveraine du nord.


✼ « Techniquement, elle vaut mieux qu’une maîtresse de roi, et moins qu’un bâtard royal. » Ses ongles s’enfonçaient dans la chair blanche de sa paume. Autour du puits sans-fond, le calme et le silence. Elle n’avait nulle offrande, nul sacrifice à y jeter. C’était juste elle, et le vacarme incessant de de ses pensées. En ces terres isolées, elle venait se reposer quand le poids de la cour devenait trop lourd, quand elle ne savait comment porter la violence des mots. Elle était au printemps de sa vie et il lui semblait que, depuis sa naissance, sa vie avait un étrange parfum de scandale. Elle était à un âge où la plupart des femmes étaient soit des épouses, soit des mères. Elle, avait consciemment refusé de suivre cette voie. Sa famille ? Une mère suicidée et un père condamné aux carrières. Une (ex) belle-mère désormais Reine et un demi-frère flirtant avec le danger. Des « petites » sœurs, aussi. Le clan Hennessey, peut-être…
Se penchant au-dessus du vide de la crevasse, elle se demanda qu’elle eût été son reflet si le puit fut plein. Qui était-elle ? Sur son passage, se murmurait que la souveraine du nord avait été trop bonne de garder l’enfant auprès d’elle, l’enfant de celui qui l’avait violentée. Trop bonne de l’élevée comme la sienne. Trop bonne d’en faire sa dame de compagnie. Sur son passage, se murmurait des choses, trop de choses que personne ne semblait vouloir oublier. Elle encore moins. Lentement, sa colère montait. Sa détermination également. Sur tout ce qu’elle avait de chère, jamais, oh grand jamais sa place ne serait « entre la maitresse du roi et le bâtard royal ». Qui était Ginevra Hennessey ? Elle ne le savait pas encore mais cette dernière valait bien mieux que ça.
Se redressant, elle fixa le trou béant encore quelques instants. Désormais, elle n’y jetterait que sa rancœur et son désespoir. Au loin, une guerre se préparait et Heimsring n’avait pas besoin d’une gamine épleurée.